Michel Serres : Réflexions sur l'Homme Occidental et l'Évolution des Institutions
J’ai découvert l’USI Event il y a quelques années alors que cette conférence s’appelait encore : USI l’Université des SI « Le rendez-vous des Geeks et des boss ». Sans conteste, la vidéo qui m’a le plus marqué est celle intitulée « Humain et révolution numérique » par Michel Serres (lien en fin d'article).
Michel Serres est un philosophe qui, avec son expérience et sa sagesse, nous offre un recul phénoménal sur notre société actuelle. Dans sa conférence, il s’attache à décrire l’Homme occidental d’aujourd’hui. L’humain étant un élément déterminant dans les contextes agiles qui m’intéressent, c’est tout naturellement que je me suis senti concerné par cette conférence. Dans mes contextes professionnels, il m’arrive parfois de m’inspirer de cette conférence pour exprimer la complexité du monde actuel.
L’Homme
Tout d’abord, Michel Serres précise qu’il est impossible de définir l’adverbe "humainement" au sens étymologique du terme. La diversité de la condition humaine, des morales, des lois, des religions rendent cette définition totalement irréalisable.
Il se concentre donc sur la définition de l’Homme occidental contemporain, dont son auditoire semble être un bon représentant. Mais, même dans ce cas, la recherche d’une définition semble impossible car, comme il le dit :
« Nous vivons une période charnière où l’Homme est en train de changer ».
Le changement est donc peut-être ce qui définit le mieux l’Homme occidental d’aujourd’hui. Il s’attache dans sa conférence à expliquer de quelle manière et pour quelle raison l’Homme vit de profonds changements.
Ruralité
Le premier changement qu’il décrit concerne l’environnement de l’Homme moderne. Celui-ci passe d’un environnement majoritairement rural à un environnement urbain. En effet, au 19ème siècle, environ 8% de l’humanité vivait dans les villes alors que les projections montrent qu’en 2050, 50 à 60% de l’humanité vivra dans de grandes mégalopoles.
Cette désertification du monde rural change totalement notre rapport au monde et à la nature. Ainsi, la disparition brutale de la culture rurale fait de nous « un Homme nouveau dont on n’arrive pas à évaluer la nouveauté ».
Progrès de la médecine
Un autre changement phénoménal que l’humanité a vécu concerne notre rapport à la douleur. En effet, la naissance de la médecine efficace, avec en particulier la découverte des antibiotiques après la Seconde Guerre mondiale, nous permet de vivre dans un monde où la souffrance liée aux maladies est nettement atténuée.
Ces progrès nous permettent également de changer notre rapport à la morale. Michel Serres nous dit :
« Toutes les morales étaient des exercices obligatoires pour tenter de supporter une douleur inévitable et quotidienne ».
Partant de cette définition, voici la question fondamentale qu’il nous pose :
« Que va faire l’humanité de la morale lorsqu’il n’y en aura plus de douleur ? ».
Question hautement philosophique qui demeure sans réponse.
Ces progrès ont également permis un allongement considérable de l’espérance de vie ainsi qu’une explosion démographique. Depuis la naissance de Michel Serres en 1930, la population mondiale a été multipliée par sept, passant d’environ 1 milliard à 7 milliards d’habitants. Sachant cela, pouvons-nous réussir à vivre ensemble sans changer nos façons d’interagir ?
Suppression des distances
Un autre changement remarquable concerne notre rapport aux distances. D’une part, les progrès dans le domaine du transport ont permis de raccourcir les distances, et d’autre part, les derniers progrès des technologies numériques permettent de supprimer totalement ces mêmes distances.
Michel Serres nous dit que nous sommes passés d’un espace métrique à un espace non métrique. C’est un changement colossal qui s’est produit avec une telle rapidité que l’humanité n’a pas réellement eu le temps d’en prendre conscience. Aujourd’hui, nous pouvons être joignables partout, tout le temps et avoir accès à toutes les informations où que nous soyons, sans nous référer à des distances.
Conclusion
Tous les changements qu’il décrit nous amènent à poser cette question : « Qu’est-ce que ces changements impliquent pour nos institutions (politiques, juridiques, droit de propriété, enseignement...) ? ». Sa réponse est sans appel : « Ça change TOUT ! » ou encore « Les institutions sont en train de mourir ! ».
Nous ne sommes plus les mêmes Hommes qu’avant, pourtant nos institutions ont été construites par des Hommes n'ayant pas conscience des changements qui les attendaient. Mais l’inertie de la société ne permet pas d’envisager le changement simplement. Par contre, cette situation est propice à l’émergence de nouveaux modèles.
En entreprise, on a déjà vu émerger de nouveaux modèles permettant de répondre à la complexité grandissante de notre monde. Des modèles empiriques qui mettent en avant la simplicité ou plutôt la simplexité, l'art de rendre simples et compréhensibles les choses complexes. Peut-être que nos institutions pourraient s’inspirer de ce type de modèles pour se moderniser ?
Quoi qu’il en soit, si vous n’êtes pas encore convaincu que l’Homme vit une profonde rupture actuellement, je vous conseille vivement de regarder cette vidéo qui a été pour moi une vraie révélation.
Lien vers la vidéo : Humain et révolution numérique